Soirée bien calme aux Péchés Mortels

L'Archiviste discutait depuis un petit moment avec le haut-elfe venu le visiter, mais il lui vint une envie de grignoter quelque chose. N'ayant pas encore eu le temps de passer au marché, il se dit qu'un petit tour à l'auberge pourrait l'aider à se sustenter pour le moment, de sorte que son estomac ne crie pas famine devant son invité. Il s'excusa et il lui dit quittait pour un bref moment, le temps d'acheter de quoi manger, puis il reviendrait.

- J'espère qu'ils auront encore de la viande! lui lança mentalement Raenstrarr, bien enthousiaste. Mais par contre, si cette Damovyr y est encore, je risque de sortir les crocs...

- Du calme mon frère, lui rétorqua l'Uratha de la même façon. Je suis du même avis que toi sur la décision que... cette demoiselle a prise, mais soyons civilisés!

Il put sentir tout le mépris qu'il éprouvait pour elle, et ne put qu'être d'accord avec lui. Malgré tout, il essaierait de se montrer courtois si elle devait être présente, et se contenterait de l'ignorer au meilleur de ses capacités.

Il se dirigea d'un pas vif vers la grande bâtisse. Il se permit d'admirer les étoiles quelques instants, et remercia brièvement Elûna de lui avoir accordé sa bénédiction. Lorsqu'il arriva sur le pas de la porte, il perçut une bribe de conversation, et reconnut aussitôt Nyssa. Il ne savait toutefois pas qui était son interlocuteur.

- ... une encre plus... hum, plasmatique? Les teintes et variations du sang sont des plus esthétiques!

Raenstrarr grogna puissamment, et l'Uratha fronça les sourcils. Un seul type de créature pouvait utiliser ce genre de langage : des Vampires. Il sentit les poils de sa queue se hérisser, et il ne put s'empêcher de sortir les crocs. Il pouvait tolérer qu'une Damovyr soit présente, mais un Vampire, ça il ne pouvait pas, il ne le pourrait jamais. Il choisit donc de monter rapidement afin de prendre la nourriture et s'en aller au plus vite, avant que Raenstrarr ne décide de prendre les rênes. Il avait bien vu ce qui se passait lorsque le loup prenait le contrôle, et ne désirait pas que cela se produise à nouveau.

Il grimpa quatre à quatre les escaliers. Il entendit vaguement la Saltimbanque répondre, mais ne le comprit pas, trop occupé à calmer son loup. Il arriva sur le seuil de l'escalier, les sourcils froncés. Des cheveux d'un blanc immaculé, un teint si pâle... Raenstrarr rugit de plus belle, mais il le maintint mentalement. Il éprouvait une envie folle de lui sauter à la gorge, mais il ne pouvait pas se le permettre, pas devant Nyssa... Cela devrait attendre.

- Bonsoir Nyssa... dit-il hargneusement, le regard toujours tourné vers l'invité de la tavernière. Je ne voudrais pas vous importuner dans vos discussions, mais je désire manger quelque chose. Idéalement de la viande, mais je ne suis pas difficile.

- Mais bien sûr, Mythryläm, il me fera plaisir de te servir un bon bol de ragoût, plein de viande, lui répondit la Sirène.

Au fond de lui même, l'Uratha aimait beaucoup Nyssa. Il voyait en elle une femme très forte, influente et emplie de compassion. Mais depuis que Raenstrarr était là, il ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir de travailler pour des Vampires et des Damovyrs. Comment pouvait-elle supporter leur présence? Comment avait-elle pu laisser sa propre soeur Aïda se laisser transformer en... en... en un monstre! Il ne put s'empêcher d'être en colère contre elle, et son loup était tout à fait d'accord avec lui.

- Eh voilà, mon cher. Bon appétit!

Elle lui tendait un bol de ragoût fumant. Son estomac vide cria, mais pour le moment il n'en avait cure. Il lui prit doucement des mains, huma les fumets délicats du mets. Il sut qu'il serait délicieux, mais il devait poser une question auparavant.

- Je ne voudrais pas paraître impoli devant votre... invité, mais j'aimerais vous poser une question en privé, Dame Delarose. Est-ce que ce pourrait être faisable?

Il ne put s'empêcher de grogner en découvrant les crocs en disant le mot invité. Cette chose ne méritait même pas de nom, encore moins le titre d'invité!

- Finissons-en une bonne fois pour toute! Je sais que tu en as envie! l'incita Raenstrarr par la pensée.

- Non, pour la dernière fois, contrôle-toi Raenstrarr! Je ne peux pas tuer des gens parce que je ne peux tolérer leur présence, ce n'est pas comme cela que la balance se maintient!

Il se concentra un bref moment, et la rage de son loup s'atténua quelque peu. Il cessa de froncer les sourcils et tenta de se composer un sourire, qui dut paraître factice.

L'Uratha s'était dirigé au fond de l'auberge, et avait attendu que la Kelpie vienne l'y rejoindre. Il avait clairement vu l'éclair de colère traverser le regard de Nyssa.

- Je sais que tu ne les apprécies pas, mais ce sont nos amis. Je ne veux pas d'une guerre chez moi, c'est bien compris? Si vous avez un problème entre vous, vous nous laissez en dehors de tout cela. Je vous ai toujours bien apprécié ton clan et toi, mais si un de vous touche à un cheveu d'un membre de ma famille je vais devenir vraiment mauvaise. Est-ce que je me fais bien comprendre?

Il ferma les yeux, et tenta de se composer un air neutre. Évidemment, qu'il la comprenait, mais Raenstrarr avait toujours les nerfs à vif. Il ne pouvait s'empêcher de vivre les mêmes émotions que son loup, mais il comprit que dorénavant, il devait tenter de camoufler ses sentiments lorsque la situation pouvait s'avérer tendue. Comme à ce moment, par exemple.

- Que voulais-tu me demander? lui demanda la Sirène avec un sourire.

Il tiqua. Il avait l'impression que ce sourire n'était que factice. Contiens-toi, contiens-toi, lui souffla Raenstrarr. Tiens, il était devenu plus calme soudainement. La sagesse du Geri semblait avoir refait surface, et cela lui convenait entièrement.

- Je voulais vous faire part d'une situation que je vis, Dame Delarose. Depuis que je suis devenu... ce que je suis, mon loup semble particulièrement agité, et j'ai beaucoup de mal à le raisonner parfois. Et, voyez-vous, je redoute qu'il ne reprenne le contrôle, ce qui me rendrait adepte de viande humaine, comme lors de ma transformation... Je venais m'enquérir auprès de vous pour savoir si vous seriez prête à m'aider, si besoin se faisait sentir.

Intérieurement, il avait peur que Nyssa refuse. Il s'était comporté comme un barbare aggressif, et cela était intolérable. Certes, il ne tolérerait jamais la présence de Damovyrs à Wolfencrow, mais il devait garder le contrôle. Il aimait plus que tout son frère Raenstrarr, il savait qu'il était le meilleur compagnon qui soit, mais il devait garder en tête qu'aux yeux de tous, il restait l'Archiviste. Et en tant qu'Archiviste, il devait être respectable, et non pas plus qu'un vulgaire barbare comme la façon dont il avait agi plus tôt.

Il avait désespérément besoin de son aide, ainsi que de celle des membres de sa famille. Mis à part les Damovyrs s'il y en avait, évidemment. Il savait que sa meute devait s'absenter, car leur famille d'autrefois les réclamait, et il avait vraiment peur que la rage le reprenne entre-temps. Que l'envie de la chair revienne, que la bête refasse surface. Sans son frère Freki pour le calmer, il avait besoin de compatriotes fiables pour l'apaiser, sans quoi il resterait à jamais un Garouloup assoiffé de sang. Cette pensée le fit frissonner, mais il la chassa de son esprit.

- J'ose espérer qu'à défaut de bonnes manières, vous aurez au moins essuyé vos pattes avant de rentrer afin de ne pas salir le beau parquet de notre hôte!

La rage bouillit dans les veines de l'Uratha. Il ferma les yeux en s'efforçant d'ignorer la remarque cinglante que l'être vil venant de lui lancer au visage. Raenstrarr lui criait de le tuer sur-le-champ, de lui arracher le coeur, mais il ne devait pas céder. Pas devant Nyssa. Il devait jouer ses cartes intelligemment afin de ne pas s'attirer les foudres des seuls alliés qui lui restaient. Au fond de lui-même, toutefois, ses intentions étaient beaucoup moins bienveillantes...

- Je vais être très honnête avec toi Mythryläm. Nous ne voulions pas que tu devienne Uratha. Mais maintenant que le mal est fait, nous devons t'aider à te contrôler. Personne ne veut que tu devienne une bête sanguinaire, ni que tu fasse un bain de sang parce que tu ne te contrôle pas. Je préférerais que ce soit les autres Urathas qui t’aident à contrôler ton loup, pour ne pas mettre les miens en danger. Mais si tu sens vraiment qu'il devient incontrôlable et que ta meute n’est pas là pour t'aider, vient nous voir, nous tenteront de t'aider à l'apaiser avant que tu fasse un bain de sang.

C'est bien ce qu'il redoutait. Étant donné la transformation d'Aïda, cela n'était que logique. L'archiviste fut tout de même très heureux d'apprendre que les Kelpies voulaient toujours l'aider, malgré sa transformation. Comme l'avait dit la Sirène, il était trop tard pour l'empêcher, désormais.

Raenstrarr hurla de plus belle.

- Comment ose-t-il nous décrire de la sorte, alors qu'il n'est guère plus qu'un revenant pitoyable qui ne vit que de la vitalité d'autrui! Montre-lui ce que tu sais faire, Mythryläm, tu connais de nombreux sortilèges qui pourraient le remettre à la place qu'il mérite : six pieds sous terre! m'incita mon loup.

L'Uratha ne put s'empêcher de grogner et de montrer les crocs. Raenstrarr avait ô combien raison, mais Mythryläm devait se contenir. Ce n'était ni le moment ni l'endroit d'entrer en rage, et il savait pertinement que c'était le but du Vampire : le ridiculiser afin que les Kelpies le renient à jamais. Il connaissait bien les stratégies manipulatrices des Vampires : à défaut de combattre et d'affronter en face leurs ennemis, ils préféraient les regarder se déchirer eux-mêmes en riant dans leur coin. Pitoyable... Cependant, ce n'était sans compter l'instinct sauvage qui le poussait très violemment à commettre l'irréparable. Malgré tout, il ne céda pas, et leva le regard directement sur le Vampire, sans le fixer dans les yeux.

- Sachez, quelconque créature, que le "chiot" que vous avez devant vous a été choisi par sa déesse afin de protéger son domaine. À ce que je vois, vous non plus n'avez guère de politesse envers qui que ce soit, cela ne m'étonne pas vraiment.

Reportant son regard vers Nyssa, qui visiblement se retenait de rire, il lui dit d'un ton plus bas de sorte qu'elle seule comprenne :

- Je ne souhaite pas vous causer d'ennuis, Ma Dame. Je me fiche bien de l'opinion que cette chose peut bien avoir de moi, et je réglerai cette querelle plus tard. Si cela ne vous dérange pas, je vais allez me sustenter à une table.

Avant qu'elle ne puisse répondre, il alla s'asseoir à une table près des fenêtres, et entama son repas.

Assis à la petite table en bois sur le bord d'une fenêtre, l'Uratha dévorait son repas à pleines dents. Il savait bien qu'il devait paraître davantage animal puisqu'il se servait de ses mains, mais il n'en avait cure. Son estomac grondait, et tout ce qui lui importait était de le remplir.

Il vit Nyssa porter un menu exclusif au Damovyr, et eut un haut-le-coeur qu'il réprima de peine et de misère. C'était tout juste s'il ne parvenait pas à le voir se pourlécher les lèvres, et cela le dégoûtait au plus haut point. Il ne parviendrait jamais à comprendre la sorte d'alliance que les Kelpies entretenaient avec ce genre de créatures. Pour lui, ils n'était rien de plus que des revenants dépendants du sang d'autrui pour vivre, incapables de se présenter au soleil et qui semaient le chaos sur leur passage.

- Tu connais très bien la formule, mon frère, me susurra Raenstrarr. Es creatum aqua benedictum oné. C'est si simple! Ce serait difficile pour lui de comprendre que son breuvage est la source de son mal par la suite...

- Raenstrarr, arrête! Je t'ai déjà dit que je voulais pas causer d'ennuis à Nyssa! Surtout qu'elle a accepté de nous aider, rappelles-toi!

Intérieurement, il était du même avis que le loup, comme toujours. Il ne put s'empêcher de jeter un regard mauvais en montrant les crocs vers l'être blafard qui semblait plus que satisfait de la rage qu'il provoquait chez l'Uratha. Il connaissait plusieurs sortilèges afin de faire brûler le Damovyr sur place également... mais encore une fois, cela ne ferait qu'attiser la colère des derniers vrais alliés qu'il avait à Wolfencrow. C'était une mauvaise idée. Il reporta donc son regard sur le bol à moitié vide qui dégageait des odeurs alléchantes, et entreprit de terminer son repas, sans cesser de ressasser des idées mauvaises à l'égard du Damovyr.

L'homme-loup entendit vaguement le Damovyr rire à s'en époumoner tandis qu'il mangeait.

- En plus d'être discourtois et désagérable, vous faites en plus preuve d'hypocrisie devant notre hôte. Si vous vous fichiez à ce point de mon opinion vous arrêteriez sûrement de baver de rage tel le molosse barbare et sans forme de civilité que vous êtes, rétorqua le Damovyr.

Il rit quelque peu intérieurement. Décidément, ce revenant lamentable avait la langue bien pendue. Le ragoût lui avait fait énormément de bien, et il comprit rapidement que son envie de viande l'avait rapproché de sa contrepartie du loup. Maintenant pratiquement repu, il avait retrouvé sa sagesse dont il avait hérité avec la bénédiction d'Elûna et qu'il avait acquise au fil des années. Cette présence d'esprit revenue lui faisait voir à quel point tous les propos du vampire étaient futiles : il ne cherchait qu'à le provoquer pour mieux le voir se détruire par lui-même aux yeux de ceux auxquels il tenait.

- Ne vous en faites pas Noble Dame, vous n'avez pas idée à quel point vous êtes responsable de ma joie actuelle. Je prendrais bien une bouteille de se fameux Sang Bleu. On ne change pas une combinaison gagnante après tout! *Il se pencha légèrement de l'avant.* Et puis-je vous proposer d'informer l'intrus de la manière appropriée pour manger un ragoût... il va non seulement salir votre parquet mais également vos nappes...

L'archiviste acheva de se repaître du savoureux mets. Après avoir soupiré de contentement, il eut une bouffée de honte envers lui-même en regardant ses mains dégoulinantes de sauce. La faim le transformait véritablement en bête ces derniers jours... Sur ce point, il dut à contrecoeur admettre que le Damovyr avait raison : il n'avait démontré aucune bonne manière que ce soit. Il se nettoya du mieux qu'il le put, et se leva pour aller porter son bol maintenant vide à la tavernière.

Il se concentra sur les paroles que son frère lui avait dites lors de sa rage de Chair : "Écoute le bruit de la nature autour de toi, écoute la Déesse qui te guide, ne te laisse pas berner par les autres autour de toi. La Déesse sait ce que tu vaux vraiment, et c'est elle qui trace ta destinée." Il put ainsi ignorer superbement le vampire en gardant la tête haute, et déposa le bol sur le comptoir en y glissant 2 pièces dorées.

Il se pencha par-dessus le comptoir de sorte que seule Nyssa puisse entendre :

- J'espère que vous me pardonnerez mon comportement irrespectueux que j'ai eu envers vous, Dame Nyssa. J'ai été floué par les propos vicieux et pervers de votre invité, et je tâcherai de ne plus vous embêter avec mes opinions personnelles. Acceptez ce petit paiement en guise de compensation.

En voyant le Damovyr porter le breuvage bleuté à ses lèvres, l'Uratha eut de nouveau un haut-le-coeur. Il parvint encore une fois à le contenir, mais la vision du mort-vivant qui dégustait ce qui ressemblait un peu trop à du sang le dégoûtait comme jamais.

Il s'éclaircit la gorge afin d'attirer l'attention de la Sirène.

- Si cela ne vous dérange pas, je vais retourner vaquer à mes occupations, Dame Delarose. Je ne tolère plus l'odeur putride du revenant avec lequel vous discutez. À bientôt!

Sur ce, il traversa la pièce, descendit l'escalier et retourna aux Archives.